Edito « Dans un monde de flou »
Ôde aux interstices et à l’inconnu !
L’art de faire le flou, tout comme celui de faire le net, requiert une sélection délibérée, une décision de porter notre attention sur certains éléments tout en en laissant d’autres dans l’ombre. Cette démarche ne vise pas à obscurcir notre vision, mais à la clarifier, à lui donner du relief et de la profondeur. En décidant consciemment de ce qui doit être mis en avant et de ce qui peut rester indistinct, nous faisons ressortir les contrastes, nous orientons le regard vers ce qui est jugé essentiel. Tout en évitant la saturation de stimuli. Tandis que la bataille frénétique pour l’attention fait rage autour de nous et que notre quotidien est pilonné par la surexposition aux informations, cet élan nous paraît vital : lutter contre cette surinformation, c’est reprendre une certaine liberté, une autonomie et une maîtrise de ce que l’on voit. Le flou devient alors un outil puissant pour redéfinir la réalité, pour questionner notre rapport au vrai et à l’image dans une époque où la technologie brouille les frontières entre le réel et l’artificiel. Mais cette capacité de « trafiquer » la réalité ouvre aussi un espace pour l’imagination, pour une critique des images sensationnalistes, auxquelles nous sommes drogué·es, et pour une réflexion sur les images hors cadre, celles qui échappent à notre champ de vision mais influencent notre perception. Car si nous considérons que le flou est une question de curseur, le réel est-il si net ?
Le flou sera-t-il le dernier domaine du possible ? La voici venir, la nouvelle exploration !
Sociétés en mutations, mais des identités réduites aux définitions. À l’AADN, c’est le flou que nous revendiquons ! Notre humanité, c’est aussi notre capacité à naviguer dans l’ambiguïté, à accepter l’imperfection et à reconnaître l’erreur, le glitch, comme une source et un moyen de création. “Ici sont les dragons”, se représentait-on sur nos cartes : le mystère est à la fois effrayant mais aussi magique et créatif !
Alors, comme nos prédécesseurs, naviguons dans des espaces sans frontières… Voyageons en dehors de nos bulles idéologiques algorithmiques…
Camoufler pour résister
Si cette notion nous est si chère, c’est qu’elle est également un formidable moyen de résistance. C’est notre meilleur atout pour brouiller les pistes, les données et garantir ainsi la survie de quelque chose aussi simple que notre vie privée. Grâce au flou, la lutte, dans son sens le plus dur, peut s’émanciper. Souvenons-nous des maquillages spéciaux pour éviter l’identification en manifestation, ou le simple fumigène qui rend furtif derrière son écran de fumée.
Le trouble du flou
Même si le flou questionne notre rapport à la vue, ne soyons pas dupe, le flou incarne une ambivalence fondamentale : que ce soit à travers des concepts fumeux ou des novlangues imprécises, le flou peut être un moyen de domination comme un autre.
Mais quelle est notre capacité à distinguer la vérité de la manipulation ? la réalité de la fiction ? Plus que jamais, il devient primordial d’aiguiser son esprit critique face aux images qui nous entourent : apprendre à voir au-delà des apparences, chercher la richesse derrière ce qui n’est pas immédiatement perceptible.
Vers l’infini et au-delà
Il ne tient donc qu’à nous de ne pas baisser la garde et de s’immerger en toute connaissance de cause dans ce nouvel inconnu. Car c’est dans cet équilibre entre la manipulation et la liberté, entre la peur de l’inconnu et la quête de sens, que le flou révèle son potentiel comme outil de compréhension et d’exploration du monde. Le flou, loin d’être une limite, est un espace de possibilités infini, un rappel de notre humanité dans un monde de plus en plus défini par les certitudes, humaines ou numériques.